La lune qui m’accompagne

Nuit, sol dur sous les fesses. Dehors, derrière le mur qui entoure le jardin, la nature est là. Je regarde le ciel, comme à mon habitude…Et je pense à mes inconnues. Doucement, les anguilles de pensées ondulent, certaines cachées sous d’autres, elles se croisent dans plusieurs directions, apparaissent puis disparaissent aussi vite dans le champ de pensée, en laissant une trace, comme un parfum… Et les odeurs se mêlent souvent sans que je réussisse à en faire émerger une, plus vaillante.

Je regarde le ciel : la pleine lune est légèrement voilée par des nuages. Je note en moi : même si ma vue est obstruée de vapeur, la lumière est juste derrière. Soudain le théâtre mental se colore différemment, et une bulle de joie grandit. Je sens son origine : entre le nombril et le plexus, à l’intérieur. Est-ce que certains doutent encore du lien entre le corps et l’esprit ? Il est tellement immédiat que ces gens-là doivent être rares. Tout d’un coup, je suis pleine d’une énergie joyeuse et grandissante. Je regarde le ciel : la lune est seule, éclaboussant son nacre. Elle me le susurre : oui, c’est bien cela que tu éprouves… Reconnaissante, je savoure cette harmonie.

Quelques instants plus tard, des cris, provenant surement de ma gauche, à un petit kilomètre de là. Davantage que de jeunes hystériques alcoolisés, j’ai l’impression d’entendre la peur, et un frisson me parcourt le corps. Les cris se poursuivent, d’une femme il me semble, mais elle n’est pas seule à envoyer des plaintes sonores. Un vent d’une musicalité angoissante vient me secouer, et je regarde le ciel : lune il n’y a plus, même si sa lumière se devine encore sous la couche anthracite. Quelque chose me dit que c’est l’heure de rentrer. Il n’y a plus de cris. Les hommes de Rodrigues sont-ils violents ? Certains bien sûr, comme partout. Aidés par le degré d’alcoolémie particulièrement élevé de la gente masculine sur l’ile. Les coqs s’échinent déjà le gosier. Quel couillon a dit qu’ils chantaient seulement au lever du soleil ?